Lorsque le charbon est bon pour le climat

| Par Dr. Nikolas Hagemann

Pour atteindre l’objectif d’une Suisse neutre sur le plan climatique en 2050 au plus tard, il ne suffit pas de réduire nos émissions au maximum. Il restera toujours des émissions inévitables. Ces gaz à effet de serre doivent être retirés de l’atmosphère et stockés durablement. On parle ici d’émissions négatives ou de la création de puits de carbone. Le biochar est une des solutions de séquestration du carbone.

Nikolas Hagemann est docteur en géoécologie et travaille sur ce sujet à l’Agroscope1 et à l’lthaka Institute2. Dans cette interview, il répond aux principales questions à propos du biochar. 

Docteur Hagemann, qu’est-ce que le biochar, et en quoi peut-il contribuer à limiter la crise climatique ?
Le biochar est issu de la pyrolyse de biomasse, par exemple des résidus de bois. Lors de ce processus, la matière végétale est soumise à un traitement thermique avec une température de plus de 400 °C, en l’absence quasi totale d’air. Il en résulte un matériau poreux contenant du carbone. Environ 30 à 50% du carbone que la plante a transformé en biomasse au cours de sa croissance et est ainsi retiré de l’atmosphère. Si l’on récupère maintenant ce charbon « sous forme de matière », c’est-à-dire qu’on l’utilise sans le brûler, le carbone reste stocké à long terme. Si on laisse les plantes se décomposer naturellement, le carbone est relâché beaucoup plus vite dans l’atmosphère sous forme de CO2

Le processus de pyrolyse produit également un excédent de chaleur qui peut par exemple alimenter un réseau de chauffage à distance ou être utilisé dans des processus industriels. La production de biochar produit donc de l’énergie renouvelable. 

Le biochar peut être utilisé de façons multiples. Incorporé à la terre, il peut aider le sol à stocker l’humidité et les nutriments et favoriser à long terme la production d’humus. Le biochar de très grande qualité peut être utilisé dans l’alimentation animale pour améliorer la santé des animaux et ainsi réduire les coûts vétérinaires de façon substantielle. Dans les villes, le biochar est utilisé pour assainir les arbres avant de les replanter. L’industrie des matériaux de construction découvre actuellement que le biochar peut être un précieux additif. 

Quel est le potentiel climatique du biochar pour la Suisse ?
On ne peut pas le chiffrer précisément. Il y a deux facteurs principaux qui limitent le potentiel du biochar : il faut d’une part développer encore la technologie avant que des installations de pyrolyse rentables puissent être construites et exploitées à grande échelle – mais nous sommes déjà en bonne voie. D’autre part, la matière première, la biomasse, n’est disponible que de façon restreinte – car le biochar comme technologie climatique, ce que l’on appelle PyCCS – Pyrogenic Carbon Capture and Storage – ne commence pas avec la pyrolyse, mais avec la photosynthèse des plantes, qui extraient pour nous le CO2 de l’atmosphère. 

Le biochar ne change fondamentalement rien au fait que nous devons réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre. Le European Biochar Industry Consortium (EBI) part de l’hypothèse qu’au niveau européen, un tiers environ des émissions inévitables peuvent être compensées au moyen du biochar. Cela représente environ 5% des émissions actuelles de gaz à effet de serre en Europe. 

Pourquoi le potentiel du biochar n’est-il actuellement pas complètement exploité et comment pourrions-nous y remédier ?
La biomasse comprend un grand nombre de produits végétaux, qui peuvent être utilisés de manières différentes. Les résidus de bois peuvent par exemple être aussi brûlés directement plutôt que pyrolysés. La combustion produit davantage d’énergie, c’est pourquoi elle est souvent privilégiée. En revanche, elle n’offre naturellement pas les avantages du biochar déjà mentionnés. 

Jusqu’à maintenant, en Suisse, seul le bois est autorisé comme matière première pour la production de biochar pour l’agriculture. Cela devrait en tout cas être reconsidéré. Car dans l’agriculture et la sylviculture, il y a beaucoup d’autres résidus végétaux que l’on pourrait pyrolyser et utiliser ensuite sous forme de matière comme par exemple la paille. Elle ne doit certes pas être totalement retirée des champs, afin de conserver la substance organique du sol. Mais une grande partie de la paille pourrait être pyrolysée sans préjudice écologique. Il y a aussi de nombreux résidus agroalimentaires – la balle des céréales, l’enveloppe des grains de café, les épluchures de pommes de terre et bien d’autres. 

De potentiels conflits d’usage comme pour la paille existent pour quasiment tous les types de biomasse. Mais parfois ce ne sont que des conflits apparents. La transformation en biochar serait, dans de nombreux cas, clairement une bonne chose. Il faut des mécanismes gouvernementaux et des conditions-cadres afin que la production de biochar soit plus facile et devienne plus rentable pour les entreprises. Il faut par ailleurs poursuivre la recherche avec l’objectif d’élaborer des recommandations d’utilisation concrètes pour le biochar. 

Quels sont les avantages et les inconvénients du biochar par rapport aux autres technologies d’émission négative ?
Le plus grand risque, c’est certainement l’accaparement de la biomasse. Nous devons éviter, grâce à une réglementation intelligente, que des plantes soient cultivées exclusivement pour obtenir de la biomasse sur des surfaces qui étaient prévues pour la production de nourriture ou la conservation de la nature. Le bois devrait aussi être utilisé avant tout pour la construction. Car le bois comme matériau de construction permet également de retirer du CO2 de l’atmosphère et peut en plus remplacer des matériaux nuisibles au climat comme le béton et l’acier. Mais la Suisse est actuellement en bonne voie sur ce plan – la production de biochar s’appuie avant tout chez nous sur les résidus provenant de l’entretien des paysages. 

En même temps, la production de biomasse agricole doit augmenter, par exemple en encourageant les systèmes agroforestiers, c’est-à-dire l’intégration d’arbres comme éléments structurels dans les champs et les prairies. Outre les avantages qu’ils offrent déjà pour l’agriculture et la biodiversité, ils permettent d’obtenir de la biomasse sans faire concurrence à la production de nourriture. 

Le principal avantage du biochar, c’est que c’est la seule technologie d’émission négative déjà rentable aujourd’hui. Elle est donc offerte et échangée sur le marché – aussi bien en tant que biochar produit qu’en tant que certificat grâce à son rôle de puits de carbone. D’autres technologies comme la capture directe du carbone de l’air et son stockage sont certes prometteuses (Direct Air Carbon Capture and Storage – DACCS) et joueront un rôle décisif dans quelques décennies. Mais nous devons commencer dès maintenant à extraire autant de CO2 de l’atmosphère que possible. Pour cela, les installations de pyrolyse sont actuellement la meilleure solution parce qu’elles fonctionnent déjà très bien et qu’elles sont aussi rationnelles économiquement.

 

Nikolas Hagemann
Docteur en géoécologie et chercheur à l’Agroscope1 et a l’Ithaka Institute2

1 Agroscope est le centre de compétence de la Confédération dans le domaine de la recherche agronomique et est rattaché à l’Office Fédéral de l’Agriculture (OFAG).

2 L’Ithaka Institute est un réseau international pour les stratégies carbone et l’agriculture climatique. Il est reconnu pour son expertise dans le domaine de la production, la caractérisation, la certification et l’utilisation du biochar.

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