La compensation carbone est-elle une solution d’avenir ?

| Par Anja Kollmuss

La Suisse fait partie d’une minorité de pays qui cherche à acheter des crédits carbone pour compenser une part considérable de ses gaz à effet de serre à l’étranger et atteindre ses objectifs climatiques. Pour cela, elle a déjà conclu plusieurs accords bilatéraux. Le principe de la compensation carbone est le suivant : acheter des prestations de réduction des émissions plutôt que de chercher à réduire nos propres émissions. Les projets menés à l’étranger en faveur du climat (par exemple: installation d’éoliennes ou de panneaux solaires, reboisement) obtiennent des certificats correspondant à leur réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Ces certificats peuvent, par la suite, être revendus à des pays, à des entreprises ou à des personnes privées qui comptabilisent ensuite ces réductions d’émission dans leur bilan carbone.

Compenser ses émissions ou les réduire ?
Cela a-t-il du sens de financer de tels projets à l’étranger ? En théorie, oui. En effet, dans les pays plus pauvres, les émissions peuvent souvent être réduites à moindre coût qu’en Suisse. Mais la réalité est plus complexe : sur quatre certificats, trois d’entre eux n’ont aucun impact sur les réductions d’émissions ou du moins ne les réduisent pas autant qu’ils le prétendent. La majorité de ces projets étaient déjà planifiés ou sont déjà construits et ne nécessitent donc plus de financement. Les acheteurs de ces certificats peuvent ainsi comptabiliser des réductions d’émissions qu’ils n’ont en réalité pas financées. Au final, cela entraîne plus d’émissions que si on les avait réduites soi-même.

La mise en place de règles plus strictes pourrait améliorer la qualité de ces certificats, mais seulement jusqu’à un certain point. Les marchés internationaux de prestations de réduction de CO2 sont réglementés dans l’article 6 de l’Accord de Paris. Les règles qui en découlent ne sont pas mauvaises, mais elles contiennent malgré tout des lacunes qui pourraient compromettre la protection du climat.

De plus, si nous souhaitons limiter le réchauffement à 2°C, il est impératif que tous les pays aient atteint l’objectif « zéro émission nette » d’ici la moitié du XXIe siècle au plus tard. Cela signifie donc que les émissions doivent être massivement diminuées et au plus vite, y compris en Suisse. Même lorsqu’elles sont efficaces, les prestations de réduction des émissions à l’étranger ne constituent pas une alternative. Le commerce de certificats CO2 repousse le problème plutôt que de motiver le changement nécessaire en Suisse.

Financer l’action climatique plutôt que d’acheter des compensations carbones
Dans l’Accord de Paris de 2015, les pays industrialisés se sont engagés à allouer collectivement 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour financer des mesures de protection climatique et d’adaptation au changement climatique pour les pays pauvres. Contrairement aux mécanismes de compensation carbone, ce financement climatique ne permet pas de comptabiliser des réductions d’émissions dans son bilan.

Jusqu’ici, les dépenses de la Suisse en matière de protection internationale du climat représentaient 300 à 400 millions de francs suisses par année. Cependant, les organisations œuvrant au développement et à la lutte contre le changement climatique sont d’avis que la Suisse devrait investir au moins 1 milliard de CHF dans le financement de l’action climatique. En effet, l’empreinte carbone suisse est supérieure à la moyenne et la Suisse dispose surtout d’une situation financière plus avantageuse que beaucoup d’autres pays.

L’exemple de l’Allemagne montre à quel point l’investissement financier peut réellement faire une différence : l’Allemagne a dépensé près de 20 milliards d’euros pendant plusieurs années pour garantir les tarifs de rachat de l’énergie solaire. Cela a permis de faire baisser durablement à l’échelle mondiale les prix de l’électricité solaire. Grâce à ce type de financement de l’action climatique, les nations les plus riches peuvent contribuer bien plus efficacement à la transition vers un société climatiquement neutre, dans leur pays comme à l’étranger, qu’avec la compensation carbone.

Assumer nos responsabilités
Il incombe donc bel et bien à la Suisse de réduire ses émissions propres et celles émises à l’étranger. En effet, nos émissions par habitant sont parmi les plus élevées du monde. Par ailleurs, nous disposons de moyens économiques nettement supérieurs à ceux de nombreux pays. Au cours des 30 prochaines années, nous devrons transformer notre économie et notre société de manière à ce qu’elles soient compatibles avec le climat. Il s’agit d’un enjeu auquel nous ne pourrons pas échapper. En finançant l’action climatique plutôt qu’en compensant les émissions, la Suisse peut grandement contribuer à une transition respectueuse du climat, en son sein comme à l’étranger.

Il existe aussi des possibilités d’action à l’échelle individuelle : nous pouvons choisir d’investir notre fortune et nos fonds de prévoyance de manière durable. Enfin, nous pouvons encourager les changements politiques nécessaires en nous engageant dans des organisations et en les soutenant financièrement.

Anja Kollmuss
Anja Kollmuss travaille comme une conseillère politique indépendante en matière de climat et est affiliée à l’Institut de Stockholm pour l’environnement.

Image : Thomas Hodel

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