Sans puits de carbone, pas de Suisse à zéro émission nette

| Par Dr. Cyril Brunner

Une chose est claire: pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, nous devons ramener le plus rapidement possible nos émissions de gaz à effet de serre à un niveau net zéro. Pour cela, nous devons tout d’abord réduire nos rejets de gaz à effet de serre, par exemple en remplaçant les matières premières fossiles par des énergies renouvelables. En complément, toutes les stratégies climatiques misent également sur ce que l’on appelle les puits de gaz à effet de serre. Par puits de gaz à effet de serre ou technologies à émissions négatives (TEN), on désigne une série de méthodes diverses permettant d’extraire des gaz à effet de serre de l’atmosphère.

Cependant, il existe aussi des réserves et des craintes à l’égard de ces technologies, lesquelles sont souvent infondées. Ces appréhensions reposent généralement sur des informations et des représentations erronées. Les gens s’imaginent, par exemple, que le CO2 serait stocké dans de grandes cavités souterraines, qui si elles venaient à se fissurer provoqueraient l’asphyxie des habitants.

Je me suis donné pour mission de lutter contre le manque d’informations et les idées reçues sur ce sujet. Ainsi, je m’engage dans la communication scientifique sur les puits de gaz à effet de serre car, même s’il est crucial de réduire fortement nos émissions, certaines émissions résiduelles ne pourront pas être évitées. Pour endiguer le réchauffement climatique, il convient d’atteindre l’objectif «zéro émission nette». Et pour y parvenir, les puits de gaz à effet de serre sont indispensables, comme le confirme le troisième volet du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Puits de gaz à effet de serre artificiels et naturels
Concernant les émissions négatives, il était auparavant courant de distinguer les puits de gaz à effet de serre naturels des puits artificiels. Bien que cette classification soit problématique, elle reste encore trop souvent utilisée. Le reboisement, la reconstitution de l’humus du sol ou la restauration des marais sont des exemples de projets liés aux puits naturels. Concernant les puits de gaz à effet de serre artificiels, des technologies permettent par exemple de prélever directement le CO2 dans l’air et de le stocker. La question de savoir si les puits naturels sont meilleurs que les puits artificiels revient souvent dans les conversations. Indépendamment du problème posé par cette classification, ma réponse reste la même :

«Les écosystèmes naturels tels que les sols, les forêts ou les marais sont des éléments indispensables du système terrestre. Ils rendent la vie possible sur notre planète. Nous ne devrions donc pas influencer et optimiser ces écosystèmes en les considérant avant tout comme des puits de gaz à effet de serre. Nous devrions plutôt essayer de maintenir ces écosystèmes aussi intacts que possible. De cette manière, ces écosystèmes peuvent agir accessoirement comme des puits de gaz à effet de serre, ce qui est avantageux.»

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les puits de gaz à effet de serre artificiels ont souvent moins d’impact sur l’environnement que les puits naturels. Par exemple, les machines qui extraient le CO2 directement de l’air ont besoin de moins de surface et d’eau que les forêts. À titre de comparaison: une machine aussi grande que la gare centrale de Zurich absorberait environ un douzième de la quantité de CO2 absorbée par l’ensemble de la forêt suisse. Pourtant, la forêt couvre tout de même 31 pour cent de la surface totale du pays.

J’entends souvent cette question: «ces machines ne consomment-elles pas une quantité énorme d’énergie et ne sont-elles pas très chères?». C’est vrai, et c’est pourquoi leur potentiel, tout comme celui des puits naturels, est très limité à court et moyen termes. Dans un certain sens, le prix élevé de ces technologies est aussi une bonne chose. La compensation des émissions ne devrait pas être trop bon marché. Comme pour les déchets ou les eaux usées, les responsables devraient payer les «coûts d’élimination». Une telle démarche inciterait à choisir des solutions non émettrices ou ayant de faibles émissions, puisque la compensation d’importantes émissions de CO2 serait dans la plupart des cas plus onéreuse. Cela permet en quelque sorte de fixer un prix pour le CO2, comme beaucoup le réclament déjà.  

Le meilleur puits de gaz à effet de serre
Lorsqu’on parle des puits de gaz à effet de serre, la question revient sans cesse: quel est le meilleur moyen d’extraire le CO2 de l’atmosphère et de le stocker durablement? J’y réponds souvent par une autre question: je demande à la personne quel est son plat préféré et si elle ne veut plus se nourrir que de cela. Bien sûr, avec les enfants, cette question peut se retourner contre moi. Heureusement, les enfants posent aussi rarement des questions sur les puits de gaz à effet de serre. La plupart des gens se rendent compte grâce à cette question que la diversité est souvent préférable à une option unique.

Il en va ainsi de notre alimentation, de la biodiversité et des puits de gaz à effet de serre. Si un puits de gaz à effet de serre est utilisé à petite ou moyenne échelle, il n’a généralement que peu d’effets négatifs sur l’environnement. En revanche, si nous y recourons massivement, les conséquences néfastes sur l’environnement augmentent généralement. Les émissions négatives par l’utilisation de biomasse illustrent bien ce problème. La biomasse peut par exemple être transformée et valorisée en biochar, ce qui permet de stocker une partie du CO2 que la plante a extrait de l’atmosphère (pour en savoir plus, voir l’article de blog sur le biochar). Mais à un moment donné, la proportion de biomasse que nous pouvons utiliser pour capter du carbone est épuisée. Pour produire davantage de biochar, il faut soit utiliser moins de biomasse à d’autres fins, soit produire plus de biomasse. Cette dernière solution pose toutefois de nombreux problèmes: il arrive par exemple que les plantes destinées à la production de biomasse soient cultivées sur des terres agricoles qui servaient à la culture de denrées alimentaires, sur des terres appartenant à des populations indigènes ou sur un milieu naturel quasiment intact. Si nous misons trop sur un seul type de puits de gaz à effet de serre, une méthode très utile en soi peut soudainement devenir fortement problématique.

Il y a encore tellement à dire sur les puits de gaz à effet de serre. Et il est indispensable d’avoir ces discussions maintenant, car sans puits de gaz à effet de serre, l’objectif «zéro émission nette» et donc la stabilisation du climat global est inatteignable. Toutefois, nous ne devons pas oublier que les puits de gaz à effet de serre ne nous dispensent pas de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de façon substantielle. Ils viennent néanmoins compléter cette démarche, car ils constituent le seul moyen d’absorber les émissions résiduelles difficilement évitables.

Dr. Cyril Brunner

Le Dr. Cyril Brunner est climatologue et mène des recherches sur les émissions négatives et le concept «zéro émission nette» à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich.

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